Qui se souvient des Alakalufs ?
Créé par netecrivaine le 15 déc 2009 à 18:59 | Dans : Livres
Qui se souvient des Hommes… de Jean Raspail – 1986
Prix du Livre Inter 1987
J’ai lu n° 2344 – ISBN 9782277223443
Carte: source Wikipedia
Qui se souvient encore des Kaweskars – « les Hommes » – ou Alakalufs – « Donne, donne », les deux noms de ce même peuple qui, passé le Détroit de Bering dans la nuit des temps, fut repoussé jusqu’en Terre de Feu. Fuégiens ils sont devenus par la force de l’Histoire.
Ils furent quelques milliers à vivre, en petits clans, durant quelques milliers d’années, sans jamais évoluer. Ils étaient seuls dans un monde apocalyptique.
« Ayayema », l’esprit du mal, l’angoisse faisait partie de leur langage quotidien ; le mot bonheur n’existait pas.
Nus, ils s’enduisaient de plusieurs couches de graisse de phoque pour se protéger des multiples intempéries de cette invivable partie du monde. Les peaux leur servaient de couverture et d’abri.
Ils se nourrissaient de la chair crue des phoques tués et de celle des baleines échouées. De grosses moules ainsi que des coquillages complétaient leur alimentation.
Le feu entretenu et gardé avec soin ne servait pas à cuire les aliments, ou très peu. Il servait à se chauffer à condition que les Hommes aient pu trouver du bois, trempé à l’extérieur mais sec à l’intérieur, toute une connaissance empirique précieuse.
Les premiers témoignages de navigateurs et voyageurs nous parlent d’eux sans bienveillance ni indulgence.
Ainsi en est-il du célèbre Darwin :
« Quant on voit ces hommes et ces femmes le visage hideux, la peau sale et graisseuse, les cheveux mêlés, la voix discordante et les gestes violents, c’est à peine s’il faut croire que ce sont des créatures humaines, des habitants du même monde que le nôtre… ».
Qu’espérait-il donc trouver dans ces mers hostiles qui rongent des côtes balayées par les vents, le grésil, la pluie et la neige.
C’est déjà un miracle que ce peuple ait survécu tant de millénaires. Fallait-il qu’il fût quand même doué !
Il faudra attendre 1940 pour qu’une loi dite de « Protection des Indiens » soit promulguée par le gouvernement Chilien, que l’ethnologue José Emperaire se penche, en 1947, sur le cas des Alakalufs et que le monde prenne enfin conscience de son mépris et de son erreur.
Mais il était trop tard…
En 1971, un recensement a dénombré 47 Alakalufs vivants. Depuis cette date personne ne les a plus revus et aucun recensement n’a été fait. Cette ethnie a disparu partiellement ou bien s’est fondue dans la masse des chiliens pauvres et abandonnés habitant Puerto Edén.
Qui se souviendra des Hommes ? Moi.
Je garderai longtemps au cœur la rage que j’ai éprouvée en lisant ce formidable roman, également oublié.
Colère face au sort qui fut réservé à ces innocents,
Colère face à la bêtise humaine faite de suffisance et d’incompréhension.
Non, je n’oublierai plus les Kaweskars. Ils auront toujours une place au chapitre respect et liberté de mon âme.
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Le 21 Juin 2009, Georges Pernoud, dans son émission Thalassa intitulée « Aventures dans le Grand Sud » nous a montré quelques rares images de Kaweskars ; ce sont des documents d’archives émouvants. Et l’une des dernières Alakalufs encore en vie s’est exprimée dans sa langue d’origine, langage qui va bientôt disparaître. D’ailleurs, cette femme était probablement une métis car il semble qu’il n’y ait plus de Kaweskars de sang non mêlé.
Je suppose qu’il est possible de se procurer le DVD de l’émission. Elle était passionnante.
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Dans un passage de ses mémoires Francisco COLOANE se place, tout comme Jean Raspail, du côté des peuples des origines : « Au delà des balles et du poison, les Alakaluf ou Kaweshkar, tout comme les Yamana ou Yaghan, ont été exterminés, presque complètement, au moyen de poisons plus subtils que l’alccol ou le simple contact avec la « civilisation ». C’étaient des êtres viginaux, non contaminés, pas au sens abstrait ou spirituel, mais au sens très concret et matériel des micro-organismes. Ils manquaient de défense face aux bacilles et virus avec lesquels coexiste l’homme occidental. Ils furent ainsi décimés par de simples rhumes, qui leur étaient mortels et par des maladies endémiques comme la tuberculose et les maladies vénériennes. Un seul baiser pouvait suffire à leur transmettre la mort… » (Francisco Coloane : Los pasos del hombre).
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ICRA International (cf. liens) signale un article paru dans Courrier International indiquant que 130 ans après leur décès, cinq Kaweshkar exhibés dans les zoos européens, venaient de regagner leur sol natal (12 Février 2010) où ils ont été inhumés lors d’une discrète cérémonie à Puerto Eden. Ils ont été rapatriés de Suisse.
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6 réponses to “Qui se souvient des Alakalufs ?”
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Bonjour,
Je tombe sur votre site par hasard. Mais est-ce vraiment le hasard…
« Qui se souviendra des Hommes ? Moi » dites-vous ? Donc, nous sommes 2 !
J’ai l’habitude de voyager régulièrement au Chili, et c’est ainsi que j’ai pu aller passer une dizaine de jours à Puerto Eden, il y a quelques années. Là, j’ai rencontré les 13 derniers « purs » Kawashkars qui vivent encore sur l’île. Aujourd’hui, j’ai perdu contact avec eux et oublié leurs noms, mais je pourrais les retrouver. La plus jeune était la fille du chef de la communauté, une adolescente de 15 ans qui étudiait à Punta Arenas. Quelle douloureuse et lourde tâche que celle d’être la dernière représentante d’un clan qui disparaît ! Elle avait à assurer le devoir de mémoire. Mais les frères Juan Carlos et José Tonko vivaient à Santiago et étudiaient à l’université ; tous deux ont travaillé activement à la sauvegarde de la culture kawashkar. L’un d’eux était journaliste (l’autre historien, je crois). Non la culture kawashkar n’est pas morte. D’ailleurs, un livre magnifique est sorti au Chili récemment (je ne l’ai pas acheté car je me suis rendue compte que les pages n’étaient pas dans l’ordre… J’attends une procha)
Je m’intéresse aux kaweshkars (j’habite en Isère à qqes km du village de naissance de José Emperaire, où sa mémoire est encore vivante), et je viens de voir dernièrement un film (sorti en DVD) »Le mystère de la baleine », de Luc-Henri Fage) où des Kawshkars sont montrés parlant à propos de dessins trouvés dans une grotte. Connaissez-vous ce film, et si oui, ces femmes parlent-elles la langue des kaweshkars que je croyais perdue, faute de locuteurs natifs ? Merci
Pourrait-on me transmettre le titre du livre évoqué par Maryse Durieux? Merci encore
Bonjour,
Je tombe par hasard sur votre site. je suis le réalisateur du film dont vous parlez et qui a été diffusé sur Thalassa en 2009. La rencontre avec les Kaweskar a commencé en 2000 lors de notre seconde expédition de spéléologie en Patagonie chilienne, avec une halte à Puerto Eden et une rencontre avec Gabriella Paterito, qui se souvenait encore de José Emperaire. Cette année là nous avons découvert des sites archéologiques sur l’île déserte de Madre de Dios, au cours de nos explorations spéléologiques, dont une sépulture datée de 4500 ans… En 2006, c’est une grotte ornée que nous avons trouvé et à l’expédition suivante de notre groupe « Centre terre » (www.centre-terre.fr), nous avons eu le bonheur de montrer cette grotte à Gabriela, son beau-frère Francisco et son mari Raùl. Nous avons aussi passé une dizaine de jours à naviguer en bateau en leur compagnie et ce fut des momemts magnifiques et drôles, malgré les tempêtes, les creux de 13 m et le blocage dans un fjord d’où la météo nous empêcha de sortir durant 4 jours.
Oui, Gabriela est bien une Kawesqar 100%, la dernière femme, et son âge interdit tout espoir de survie pour ce groupe minuscule.
Oui, la visite de la grotte commentée par Gabriela en langue kawesqar fut un autre grand moment…
j’ai posté sur youtube une vidéo de cette séquence,
http://www.youtube.com/watch?v=W-pNRuFPxLA-
et vous pouvez trouver mon film en vente dans ma petite boutique internet boutique.felis.tv, il s’appelle « Le Mystère de la Baleine »
Il est question que je fasse un film sur elle et ses amis dans l’année 2011…
Cordialement,
De par mes origines chilienne par mon père, je me passionne pour la littérature ayant trait à ce pays et surtout al Sur. J’ai lu et relu, Francisco Coloanne, « Qui se souvient des hommes,Adios Tierra de Fuego, Antoine de Tounens » de J. Raspail « Pour un arpent de terre… » de Cl. Michelet. J’ai beaucoup souffert de l’éradication des peuples originaires de Patagonie, Isabelle Autissier le traduit bien dans son dernier roman « L’amant de Patagonie ». Début 2013 mon mari et moi allons parcourir les fjords de Patagonie chilienne de Puerto-Montt à Villa O’Higgins en totale autonomie. Cela fait 10 ans que nous fréquentons le Chili…(j’y ai de la famille)nous apprécions beaucoup la chaleur de ses habitants et la beauté des paysages.Aurons-nous la chance de rencontrer un(e) Alakaluf et pouvoir lui dire combien je suis fière de mes origines, même si elles sont lointaines !
J’ai éprouvé une grande émotion à lire le livre de Jean Raspail sur les Alakalufs. J’ai toujours admiré Charles Darwin. Il a montré qu’il était un grand découvreur et un humaniste sincère. Quoique Raspail dise le contraire, est-il possible que Darwin (je ne parle pas du jeune et puritain passager du « Beagle », mais de celui de la maturité) ait pu maintenir des thèses aussi absurdes et ridicules, d’un racisme anti-Darwin qui plus est ? Quelqu’un peut-il me renseigner sur un texte de D. corrigeant ces abominables textes de jeunesse ignorante ? D’avance, merci de tout cœur. Cordialement.
Je me souviens souvent des Hommes ! et ce matin d’avril 2014 à l’occasion d’une conversation sur les Alakalufs et sur l’ouvrage de Jean Raspail ! Merveille d’ouvrage qui me plairait de relire aujourd’hui avec à l’esprit le lien avec Darwin ! B